Un Navire Amarré à une Seule Ancre

 

Les sculptures de Myriam Mechita se déploient dans l’espace et dans le temps, tels des passages où le visiteur n’a qu’à s’enfoncer pour animer leur agencement instable de signes et d’images. Ce temps est à la fois de l’ordre de la vibration imperceptible et de l’éternelle répétition. Il est en ce sens inséparable du mouvement inhérent aux installations de l'artiste : corps suspendus dans l’espace, non pas immobiles mais attirés vers le sol par leur pesanteur ; paysages percés au mur ou étirés au sol ; images réfléchies, démultipliées sur les surfaces polies des sculptures ; ralentissement de la vision au contact de la lumière noire ; fils tendus et constructions inachevées.

Le terme de mouvement n’est pourtant pas le mot juste. Ce qui est en jeu dans ces décors flottants – théâtres imaginaires d’une infinité de scénarios possibles – c’est l’absence de mouvement ou sa quasi-absence. En anglais, on désigne cette idée par le mot « stillness ». « Still » ne signifie ni fixe, ni en mouvement. C’est un entre-deux, un interstice, une interruption entre un mouvement et un autre. C’est dans cet espace réel, où les repères de temps et de mouvement se disloquent, que se déploie l’imagination du visiteur. Ce dernier est confronté à une fiction, et avec elle à « la démultiplication des modes de paroles et des niveaux de signification ».¹

Pénétrer une de ces installations c’est s’immiscer dans le rêve éveillé de l’artiste. L’architecture de ce paysage mental semble vouloir nous raconter une histoire dans son langage singulier. C’est un conte fantastique qui se répète, avec ses personnages, ses symboles et son articulation d’événements, stimulant l’attention du spectateur en sollicitant la mémoire de ses sens. Ce conte suggère la fascination de son auteur pour le sublime dans la fatalité de la mort. Il expose ses visions étranges et explore ses obsessions. Le même rythme s’y reproduit toujours : c’est une dérive entre deux pôles, l’imaginaire et la réalité. Myriam Mechita engage intensément notre perception en multipliant les miroirs, les images dédoublées, les palindromes et les ombres informes. Cet univers n’est pas irréel mais fictionnel. Sa surface est poreuse, percée de trous, piquée d’aiguilles, pour y laisser transpirer la réalité, en anamorphose. 

« Cette galerie n’était pas sans leur avoir jeté un sort. (…) Ils avaient remarqué l’une de ses vertus singulières et non la moindre ; la galerie dérivait en tous sens, comme un navire amarré à une seule ancre. »²

Vanessa Desclaux

Vanessa Desclaux est critique d’art et commissaire d’expositions. Elle est actuellement commissaire assistante dans le cadre du programme de performances à la Tate Modern à Londres.


¹ Jacques Rancière, Le Partage du sensible, Paris, La Fabrique éditions, 2000, p. 58
² Jean Cocteau, Les Enfants terribles, Paris, Le Livre de poche, 1929, p. 90